Le 17 février 2007, par appartement/galerie Interface,
Trafik d’influences
Trafik est un atelier de développement graphique et multimédia dont les cinq membres conjuguent de multiples compétences, pour faire déborder leur pratique au delà des frontières établies entre l’art et le graphisme. Travaillant avec toutes sortes de médiums et sans préjugé quant au potentiel créatif que peuvent leur offrir leurs commanditaires, on leur doit notamment des créations pour Agnès b., Habitat, Louis Vuitton, Oxbow, pour le magazine Wad, pour La Fête des Lumières et Lire en Fête à Lyon, et ils ont réalisé deux expositions monographiques en 2006 : Multiimages XI au centre d’art de la Ferme du Buisson, à Marne-la-Vallée, et Superstars à La Criée centre d’art contemporain, à Rennes .
Dans les créations qu’ils réalisent pour des circonstances aussi diverses, les membres de Trafik recourent à la fois au travail de l’image, à la typographie, au multimédia et à la scénographie. En associant leurs capacités en matière de création artistique et de programmation informatique, ils développent un langage qui leur est propre et dans lequel le graphisme n’est pas une fin en soi, simplement un outil pour exprimer des idées à travers les formes appropriées : l’imprimé et l’écran, mais aussi le volume, la lumière, l’évènement. Ils sont en cela l’auteur collectif d’une pratique plurielle, où les compétences de l’un suscitent les propositions d’un autre. Une pratique dans laquelle leur rapport à la commande, leur traitement des signes et des formes, leurs référents esthétiques, empruntent aussi bien aux usages de l’art qu’à ceux du graphisme et du design tels qu’on les conçoit encore le plus souvent.
Il faut dire que les frontières entre art et graphisme, propres à une génération et peut-être plus ancrées en France qu’ailleurs, tendent aujourd’hui à imploser sous leur propre poids. Pour bon nombre de créateurs, ces deux domaines d’activité deviennent une aire de dialogue sur la grande arène des arts visuels. C’est encore sur la question de l’identité que graphistes et plasticiens connaissent les plus grandes différences de régimes : même si les artistes ont fait de la critique de l’autorité un poncif de la création contemporaine et si les graphistes accèdent à une reconnaissance toujours plus grande, la figure de l’artiste reste néanmoins plus affirmée et plus identifiable que celle du graphiste, fréquemment anonyme derrière son commanditaire.
Intégrant ces affinités et ces divergences, les membres de Trafik ont dépassé la question « art vs graphisme », au point de ne plus trop savoir comment on doit les considérer. Non pas qu’ils veuillent écarter le débat, mais plutôt parce que cette ambivalence est au fondement de leur pratique. Que ce soit pour une intervention dans un centre d’art ou en réponse à la commande d’une entreprise, Trafik explore les mêmes préoccupations : le traitement et la construction des images, le développement d’une esthétique low tech, la création collective et l’interactivité. Dans cette perspective, Trafik utilisait récemment pour les expositions à la Ferme du Buisson et à La Criée (Dot TV), mais aussi pour l’habillage visuel des défilés de mode de Marithé + François Girbaud, une application transformant des images en cercle colorés abstraits et décoratifs. Dans les espaces d’exposition, Dot TV converti des programmes télévisés en flux visuel crytpté, comme s’ils étaient parasités par la proximité du Momok, cet acarien agrandi 10.000 fois et pixélisé à la surface d’une vaste moquette. En résultent des images incompréhensibles, mais captivantes comme sait l’être en toutes circonstances la télévision. Pour Marithé + François Girbaud, la retransmission pixelisée à l’extrême étaient filmée en live dans le backstage du défilé : contexte différent, mais même design graphique, même réflexion sur les modes d’apparition des images et sur les conditions de leur réception.
Superstars, récente création exposée à Rennes, résulte là aussi d’un travail sur le pixel et d’une esthétique propre au graphisme, mais avec un processus de réalisation et une mise en espace qui en font une œuvre plastique indéniable. Superstars fait suite à un atelier de création collective qui a été mené par Trafik en mai 2006 dans un centre social rennais, Carrefour 18. Les habitants était conviés à devenir les acteurs d’un projet artistique en réalisant leur autoportrait grâce à un module de prise de vue qui transforme chaque visage en une composition étoilée. Archivés dans une bibliothèque numérique, ces portraits peuvent être diffusés via Internet. Trafik les a compilé dans une animation vidéo où ils apparaissent et disparaissent sans cesse, telle une pluie d’étoiles en mouvement continu, selon un procédé déjà expérimenté avec des animations et des projections lumineuses conçues pour Luis Vuitton, Marithé + François Girbaud, ou encore pour une exposition à la galerie Roger Tator, à Lyon, en 2003 (Superluxe). Présentée à la surface d’un cube de projection, cette œuvre à la fois solennelle et ludique s’approprie avec humour les ressorts de la starification , en nous montrant pourtant des portraits dont l’identité et l’identification sont perturbées : difficilement reconnaissables, ils sont de plus en proie à la disparition. De fait, c’est aussi de la temporalité des images et de leur perception sensible qu’il est question avec Superstars.
Dernier indice de la confusion salutaire des genres chez Trafik, leur attention constante à la participation de l’autre n’est pas réservée aux ateliers ponctuels ni aux installations vidéo interactives (La Chose). Cette démarche est à la source de leurs projets de création en ligne sur Internet et elle irrigue leur production jusque dans le champ du design : Pam, conçu pour Habitat, est ainsi un kit d’autocollants vinyles avec lequel Trafik invite chacun à être l’auteur de son propre décor mural pour customiser sa décoration intérieure.
Trafik promet donc d’œuvrer dans une diversité d’horizons, en utilisant les compétences et les technologies qui s’imposent pour travailler en dehors des schémas catégorisant, des tentatives d’enfermement et des attitudes corporatistes, prenant à bras le corps la création comme le champ de tous les possibles, mais avec une cohérence de propos qu’il convient de souligner.
Jérôme Dupeyrat