Le 17 février 2007, par appartement/galerie Interface,
« C’est gentil chez vous »
« Le pop art c’est aimer les choses » disait Warhol ; et c’est aussi les consommer pourrait-on ajouter. Avant que Warhol ne dépoussière le monde de l’art de ses mystifications, la nature marchande de l’œuvre restait honteusement cachée et sa signature relevait de l’évidence. À la différence de l’œuvre d’art traditionnelle, le graphisme n’a jamais été complexé par l’association du goût esthétique et du consumérisme. Dans sa jeune histoire, il s’est toujours défini par son intégration au système de production et aux mass-médias. L’idéal constructiviste qui inspirait cependant aux avant-gardes d’accompagner l’émergence de la société industrielle s’est rapidement galvaudé au profit d’un système qui pousse à l’extrême la logique de la consommation de l’esthétique. Une forme de « démocratie de standing » s’est imposée, pour reprendre une expression de Jean Baudrillard, avec le façonnage visuel des domaines publics et privés. Un monde où les affiches, les packagings, les clips, jingles et identités visuelles assurent l’ergonomie de notre quotidien. Notre environnement y gagne indéniablement en confort visuel, mais c’est au prix du devenir décoratif des formes et du marquage de l’espace en une société du branding. Faire partie du décorum. Est-ce le destin social de l’art ? Sans doute. Après tout, du point de vue du spectateur-consommateur, l’art est un processus d’appropriation et de reconnaissance qui sert aussi à décorer les murs du salon. Le pragmatisme affiché dans les Furniture sculptures de John Armelder, combinant un élément de mobilier avec une peinture abstraite est la parfaite illustration des déclarations de Warhol , qui ne s’étonnait plus du nombre de collectionneurs rêvant d’avoir une Electric Chair qui s’accorderait avec les couleurs de leur salon…Dans l’espace public et du point de vue de l’entreprise, le même mouvement de recouvrement est à l’œuvre : ainsi que le pointent Pflumm et Baudevin, le modernisme qui se croyait le plus autonome a habillé de ses formes le capitalisme contemporain et recouvert les esplanades des sièges des grandes sociétés . Les graphistes ont accompagné cette logique, la communication trouvant dans l’esthétique abstraite et géométrique la belle forme ; sa forme la plus efficace. Mais à la différence de l’art, le graphisme est cheap et abondant. S’il s’agit pour lui d’un potentiel démocratique, le risque est que dans l’espace privé, l’objet culturel oscille dangereusement entre l’exubérance et la disparition, entre la tentation décorative d’un make up généralisé et le risque de l’affaissement de l’œuvre dans le quotidien des objets produits en série. Ce qui rapproche alors l’art du graphisme, c’est ce que l’on pourrait nommer « l’effet tapisserie » - le mélange explosif d’un ensemble de paradoxes propres à la création, qui permet en même temps de débrouiller le mode sur lequel se joue une partie de l’art actuel. Autour de la tapisserie, du wall-paper et du papier peint se dessine une notion contrastée : conservatrice, branchée, vieux-jeu, exubérante et périphérique, flirtant avec l’hédonisme fait maison, l’environnement et la gesamtkunstwerk. Le graphisme est ainsi ; il dessine à la manière d’un wall-paper notre chez soi en s’y installant comme une muzak visuelle, pour redéfinir nos comportements. Cette manière qu’a la création graphique de se fondre dans le quotidien visuel interroge cependant la notion de la signature formelle qui régit, aujourd’hui peut-être plus que jadis, la scène artistique contemporaine. Le sceau d’un auteur estampille chaque forme comme un brevet, fruit des recherches d’un inventeur. Ce dogme, aussi absolutiste que critiquable dans un contexte mondialisant et dynamique où les attitudes dit-on seraient devenues formes, confine in fine la création dans une surprenante et frénétique quête de l’apparente nouveauté. L’artiste empruntant à un de ses confrères une expression pour la dépasser ou la questionner est immédiatement repéré et taxé de plagia, d’imposture ou pire de « déjà vu ». Ainsi, les visiteurs de la FIAC 2005 se souviendront certainement du petit tollé provoqué par Olivier Babin présentant une tranche de pastèque étrangement ressemblante à une cible d’Ugo Rondinone présentée à quelques mètres de là. Il est évident que le scandale qui convoqua alors toutes les justifications esthétiques nécessaires à grand renfort de bouche-à-oreille malveillant, ne résidait pas tant dans le fait que le jeune français eut usurpé un quelconque concept à la méga star suisse mais bien qu’il mettait alors en exergue avec un cynisme pour le moins efficace les failles de tout un système marchant. Pour le graphisme, il n’en est rien. Loin des problématiques inhérentes au marché de l’art, il procède au contraire de la forme quotidienne et vernaculaire, à laquelle on ne prête que rarement attention. La notion d’auteur, si elle existe, n’a pas été développée dans l’optique de prévenir une appropriation des formes par autrui mais pour revendiquer une approche intellectuelle de la communication visuelle. Le graphiste auteur est celui qui tente d’apporter un regard critique et analytique à sa sphère d’intervention pour la dépasser. La forme ne s’offre pas en soi, elle s’attache au contraire à servir le propos signifié et le cachet de son auteur se révèle alors une bouée nécessaire voire salutaire dans un océan de communication aride. Ce qui est usuel et vernaculaire n’implique pas forcément d’être médiocre mais peut aussi faire sens et coloniser un environnement quotidien comme une œuvre transfigure un espace. L’exposition « 2 pièces cuisine » se veut ainsi un manifeste pour une signature de la forme graphique, l’intelligence de la communication publique au cœur de la sphère privée.
Etienne Bernard & Arnaud Fourrier
Merci de nous avoir fait partager cet article et bonne continuation pour la suite.